Docteur Noumoutié SANGARE répond aux questions qui lui sont posées à la suite de la soutenance de sa thèse de Doctorat en Philosophie à l’Université Joseph Ki-Zerbo, le 27 Janvier 2023
Thème : L’Education chez Platon et Joseph Ki-Zerbo : Prolégomènes à une refondation des systèmes éducatifs en Afrique ».
Q : Présentez-vous.
NS : Docteur Noumoutié SANGARE, Inspecteur de l’Enseignement Primaire et de l’Éducation Non Formelle, formé aux métiers de l’enseignement et de l’encadrement pédagogique à l’École Nationale des Enseignants du Primaire de Bobo et à l’École Normale Supérieure à Koudougou, successivement passé par les différents emplois que connaissait l’enseignement primaire jusqu’à une période récente que sont les emplois d’Instituteur Adjoint certifié, d’Instituteur Certifié, d’Instituteur Principal, de Conseiller Pédagogique Itinérant et d’Inspecteur de l’Enseignement du Premier Degré, et actuellement en poste à la Direction provinciale de l’éducation préscolaire, primaire et non formelle de la Léraba à Sindou.
Q : Expliquez, présentez l’événement intervenu le 27 janvier dernier, dans votre vie de chercheur.
NS : La venue en soutenance publique d’une thèse est un événement majeur dans la vie d’un chercheur-doctorant. Elle lui permet de défendre publiquement les résultats de ses recherches devant un jury composé à cet effet. C’est la dernière phase de l’évaluation du doctorant. Celle-ci est précédée de deux phases essentielles. D’abord au niveau du Directeur de thèse qui juge la production du doctorant en état d’être défendue publiquement et la propose à l’école doctorale. Ensuite, la phase d’évaluation de la thèse par des Enseignants-chercheurs spécialistes du sujet traité et qui donnent leur avis au regard de la forme et du fond du document qui leur est soumis. L’autorisation de soutenance publique est déjà en soi un succès dans la mesure où elle suppose une bonne appréciation du travail par les spécialistes. La soutenance publique permet au chercheur-doctorant de confirmer sa maîtrise du sujet.
Q : Donnez vos sentiments Docteur Noumoutié SANGARE
NS : Ce sont des sentiments de très grande joie. La recherche académique en elle-même est très contraignante ; elle est très exigeante. L’allier avec les exigences professionnelles la rend encore plus complexe. Par conséquent, conduire à terme un projet de recherche doctorale dans un contexte professionnel ne peut que vous rendre joyeux.
C’est le lieu de remercier tous nos maîtres qui ont contribué à notre formation de la première année jusqu’au troisième cycle. Nos remerciements sont redoublés à l’endroit de ceux qui nous ont initié au métier de la recherche notamment Pr Amadé Badini qui a encadré nos recherches en année de maîtrise, Pr Jacques Nanema qui a dirigé nos recherches au master II et Dr Fatié OUATTARA qui à codiriger les recherches du Master et qui a dirigé les recherches de la thèse.
Nos remerciements vont également à l’endroit de la famille de Joseph Ki-Zerbo de qui nous avons reçu une allocation financière substantielle qui nous a permis de prendre en charge les frais de formation et de faire face aux dépenses liées à la recherche.
Q : Expliquez comment vous est venue l’idée de traiter le thème Docteur Noumoutié SANGARE
NS : Nous sommes arrivés à ce sujet à partir de nos activités professionnelles et de nos études en philosophie. En tant que professionnel de l’éducation, nous avons touché du doigt les problèmes liés aux systèmes éducatifs africains de façon générale et à celui du Burkina Faso en particulier. Nous avons beaucoup disserté dans les écoles de formation (École Nationale des Enseignants du Primaire, École Normale Supérieure) sur la nécessité d’adapter l’éducation scolaire aux réalités des peuples africains. Nous avons aussi noté les efforts qui étaient faits pour juguler ces problèmes notamment les réformes éducatives, sans que les mutations ne soient à mesure de rendre l’école assez pertinente.
Nos études philosophiques nous ont conduits à nous intéresser au concept de crise. Notre approche heuristique est enracinée dans la théorie ricoeurienne des foyers d’irradiation du concept de crise et dans la crisologie de Edgar Morin. Cette analyse nous a conduit au constat que l’Afrique vivait une crise généralisée. Dans un tel contexte, il faut nécessairement trouver le point stratégique à partir duquel on peut agir pour juguler la crise. Notre expérience professionnelle et nos lectures, notamment de Platon et de Joseph Ki-Zerbo, nous ont orienté vers l’éducation comme point archimédien à partir duquel le continent peut sortir de la crise et s’engager dans une dynamique de devenir vertueux.
Déjà en 2019, nous avons signé un article sur la question dans les actes du colloque international de Ouagadougou tenue autour du thème « Philosophie et société en crise » ; lesquels actes ont été publiés dans la Revue le Cahier philosophique d’Afrique, une revue internationale de philosophie éditée à l’Université Joseph Ki-Zerbo. L’article est intitulé « L’Afrique en crise : l’éducation comme paradigme opératoire de résolution chez Joseph Ki-Zerbo ». En 2020, nous avons publié dans la revue Intertextual, une revue en ligne éditée à l’Université Alassane Ouattara de Bouaké, un article intitulé « L’Afrique à l’épreuve de la crise des identités culturelles : vers l’alternative de la néoculture kizerbienne ». C’est dire que la question de la crise en Afrique et de sa résolution est une problématique qui nous occupe depuis quelques années.
Q : Comment expliquer qu’un étudiant en philosophie s’intéresse à la pensée de Ki-Zerbo ?
NS : La pensée de Joseph Ki-Zerbo est parsemée de réflexions philosophiques que tout étudiant qui s’intéresse à ses œuvres découvre dès le premier abord. Ses champs de recherche et la mission de réhabilitation mémorielle de l’Afrique qu’il s’est donnée, l’ont conduit à entrer en dialogue avec certaines figures importantes de la philosophie comme Platon, Hegel, Machiavel, Hobbes, Descartes, Rousseau, Kant, Nietzsche, etc.
La pensée de Joseph Ki-Zerbo est multiperspectiviste. Son approche méthodologique qui est interdisciplinaire, prenant en compte le long terme et l’ensemble de la trame historique de l’humanité, le conduit à se confronter à plusieurs domaines de savoirs. Ce n’est donc pas étonnant qu’un corpus philosophique solide se retrouve dans cette pensée. Et comme l’a souligné Pr Nanéma au cours de la soutenance de notre thèse, ce serait une injure à l’intelligence de ce grand intellectuel que de soutenir l’idée qu’il ait ignoré les courants de pensée qui ont traversé l’Europe au moment où il y vivait.
Rappelons pour toute fin utile que le philosophe français Emmanuel Mounier, le théoricien du personnalisme, un des courants philosophiques majeurs de l’époque contemporaine, a été un de ses compagnons de route.
Q : Pourquoi s’intéresser à la pensée de Platon et Ki-Zerbo ?
NS : L’intérêt d’une mise en perspective de la pensée de Platon et de Joseph Ki-Zerbo se situe à plusieurs niveaux. Tout d’abord les contextes. Platon a vécu à une époque charnière de l’histoire d’Athènes. En effet, au temps de Platon, la ville grecque a connu une crise généralisée qui se manifestait entre autres au plan politique, épistémologique et éducatif. Joseph Ki-Zerbo également a vécu à une époque charnière du continent africain. S’il est né dans l’Afrique précoloniale, sa vie a été surtout rythmée par les péripéties de la colonisation qui a vu l’Afrique entrée dans un cycle de crise politique, sociale, épistémologique et éducative.
Ensuite, chacun des deux auteurs a eu en souci son espace vital pour reprendre l’expression de Pr Mussa David Soro. De ce fait, ils ont mené des réflexions profondes en vue de proposer des remèdes pour la médication des maux de leur société. Au final, ils sont tous arrivés à la conclusion que seule une éducation pertinente qui permet de former des citoyens compétents, politiquement conscients et attachés à leur cité par un amour civique, peut aider à venir à bout de la crise que vivent leurs sociétés respectives.
La similitude des contextes d’émergence des pensées, la communauté du souci comme ressort psychologique de ces pensées et la vision de l’éducation comme domaine stratégique de résolution des crises multiformes que vivent leurs sociétés ont justifié la mise en perspective des deux auteurs.
Nous avons alors émis l’hypothèse d’un parallélisme de forme et de fond dans la démarche méthodologique à partir de laquelle Platon et Joseph Ki-Zerbo adressent la question des finalités éducatives, du plan de formation et de la méthode pédagogique. Les analyses qui ont été faites à partir de la méthode de l’intertextualité ont confirmé notre hypothèse heuristique.
Q : Docteur Noumoutié SANGARE Peut-on espérer que les décideurs s’intéressent à l’analyse et aux recommandations de la thèse ?
NS : On peut espérer que les analyses et les recommandations de la recherche intéressent les décideurs publics. Mais nous n’allons pas rester au stade de l’espoir. Nous allons nous donner les moyens de vulgariser les résultats de nos recherches. Il s’agira dans un premier temps de développer certaines problématiques au cours de colloques internationaux afin d’en discuter avec les pairs, et ensuite en faire des articles qui seront publiés dans des revues scientifiques. Cela nous donnera l’occasion de les mettre en débat afin de mieux affiner l’analyse.
Dans un second moment, étant acteur du système éducatif, nous allons discuter de nos analyses avec certains de nos collègues qui sont à des niveaux où ils ont la responsabilité du pilotage des politiques publiques en matière d’éducation. Cela nous permettra de prendre en compte certains paramètres, et de co-construire avec ces décideurs une vision commune de l’éducation en Afrique.
Dans cette même approche, il s’agira de s’ouvrir à d’autres domaines de spécialisations des sciences de l’éducation comme la sociologie de l’éducation, la psychologie des apprentissages, l’économie de l’éducation, le management des structures éducatives, la linguistique, l’histoire de l’éducation pour conduire des recherches et des réflexions interdisciplinaires sur la question éducative en Afrique.
Il sera ensuite question de transporter la recherche sur le terrain en menant une recherche-action en association avec les praticiens afin de confronter les théories à la réalité du terrain. Seule une mise en débat du savoir permet d’éviter les fausses évidences, de le rendre vivant et de l’amener à pénétrer la société.
Pour terminer, nous allons explorer les possibilités de l’édition des parties essentielles de notre thèse.
Q : Quels conseils donneriez-vous à un étudiant intéressé à faire des recherches sur l’œuvre de Ki-Zerbo Docteur Noumoutié SANGARE?
NS : S’il y a des conseils à donner à un étudiant qui voudrait s’intéresser à l’œuvre de Joseph Ki-Zerbo, ce ne serait pas des conseils spécifiques à l’auteur. Ce serait les mêmes conseils que nos maîtres nous donnent pour l’étude d’un auteur : il faut lire les auteurs que l’on voudrait étudier. Pr Nanéma n’a eu de cesse de nous dire que pour étudier la philosophie, il faut nécessairement lire les philosophes dans leurs textes et non à travers les commentateurs ou la lecture d’un seul ouvrage.
Pour le cas qui nous concerne, on ne peut pas se contenter de lire A quand l’Afrique et espérer avoir une bonne intelligence de la pensée de Joseph Ki-Zerbo. Encore moins, on ne peut se contenter de quelques citations souvent tirées de leur contexte comme « l’éducation est le logiciel de l’ordinaire central qui programme l’avenir des sociétés » ou « l’éducation doit être considérée comme le cœur même du développement » ou « une société qui renonce à prendre en charge sa jeunesse et à la doter des outils optimums de son développement enterre son propre avenir ; c’est une société suicidaire ». Certes, il s’agit de phrases fortes ; mais les analyser hors de leur contexte, c’est courir le risque de les tronquer.
Il faut donc lire les œuvres ; dans la mesure du possible, toutes les œuvres de Joseph Ki-Zerbo, pour mieux cerner sa pensée. Cela éviterait de tomber dans les travers du culte de la personnalité, une sorte d’hagiographie qui finit par rigidifier la pensée de l’auteur pour reprendre les termes de l’historien sénégalais Ibrahima Thioub parlant du traitement qui est actuellement réservé à la pensée de Cheick Anta Diop.
Il faut nécessairement lire la pensée dans son contexte et la mettre en perspective avec les pensées auxquelles elle se confronte. Cela suppose de lire les auteurs dont Joseph Ki-Zerbo discute les thèses. Ensuite, lire les auteurs dont il convoque les pensées pour appuyer la sienne. Enfin, il faut analyser la pensée de Joseph Ki-Zerbo à l’aune de la pensée contemporaine et de nos réalités actuelles pour en dégager sa force opératoire et ses limites, afin de la reformuler ou la prolonger.